Le dimanche 22 Mai 2011, un petit-déjeuner turc suivi de la projection du film turco-allemand L’Etrangère (2010) écrit et réalisé par Feo ALADAG, a été organisé par l’association au cinéma Utopia Tournefeuille. La séance a été suivie d’un repas turc préparé par le bistrot du cinéma et d’un concert poétique bilingue, d’après des textes du grand poète Nazim Hikmet, Paysages humains, par Les Baladins D’Icarie.
Extrait de La Gazette d’Utopia :
(Die Fremde) Écrit et réalisé par Feo ALADAG – Allemagne 2010 1h57mn VOSTF – avec Sibel Kekilli, Settar Tanriögen, Derya Alabora, Florian Lukas… Meilleur Film et Meilleure Actrice, Festival de Tribeca 2010 • Prix du Public, Festival du film de femmes de Créteil et Festival Premiers Plans d’Angers • 8 récompenses aux German Film Awards, les César allemands.
Il est fort probable que ce film formidable, narrant la lutte d’une jeune femme turque pour son émancipation, va hérisser les poils des barbus (je ne parle évidemment pas des sosies de Sébastien Chabal mais bien de ceux qui arborent leur barbe comme un signe religieux) et autres réactionnaires qui ne jurent que par les valeurs de la famille musulmane traditionnelle… Pourtant les islamophobes, de droite comme de gauche (puisque désormais l’islamophobie semble devenir pour les démagogues de tous bords un programme politique), en seront pour leurs frais, tant L’Étrangère est avant tout un plaidoyer bouleversant pour la main tendue en toutes circonstances, loin de tout manichéisme putride qui voudrait faire des Musulmans (ici d’origine turque) de dangereux obscurantistes.
Au cœur du film, omniprésente à l’écran durant deux heures, telle une étoile qui va illuminer ou assombrir nos cœurs et nous laisser totalement essorés d’émotion, il y a Umay, une jeune femme turque qui a grandi en Allemagne, qui vient de se marier avec un beau gosse d’Istanbul, et d’avoir de lui un adorable bambin aux yeux immenses. Toute la famille de son mari a l’air plutôt aimante et bienveillante envers elle. Le seul problème – et pas des moindres ! – c’est que le beau mari a la baffe facile et quand le pauvre gamin lui tape sur les nerfs pour une raison anodine, il finit enfermé dans un placard… Et face à l’autorité du mâle dominant, toute la famille s’incline… Umay, après avoir accepté pendant un temps les coups et les relations sexuelles forcées, finit par se dire que seule la fuite peut les sauver, elle et son fils. Elle saute donc dans le premier bus puis le premier avion pour rejoindre sa famille à Berlin…
Mais très vite, pour ses parents, pour ses frères et sœur, la joie de la revoir cède la place à l’embarras, puis à l’angoisse du qu’en dira-t-on. Et la pression sociale au sein de la communauté turque fait son chemin : au début, c’est le père qui doit affronter quelques regards réprobateurs à la mosquée, puis ce sont les frères qui entendent des propos insultants (parce que pour certains hommes, une femme qui a quitté son mari ne peut être que de mauvaise vie), jusqu’à ce que la sœur cadette voie ses fiançailles brutalement rompues par la famille du promis… Et Umay se trouve bientôt contrainte de choisir entre la soumission à des règles imbéciles et la rupture avec les siens pour conquérir sa liberté, au prix fort…
Ce qui est infiniment beau dans L’Étrangère, c’est que la réalisatrice Feo Aladag (très connue en Allemagne pour être scénariste et actrice de la célèbre série policière Tatort) a su parfaitement montrer que, au sein de la famille, chacun est victime d’un carcan social dont il ne peut s’échapper. Car Umay aime profondément ses proches, même quand ils semblent lui montrer une totale incompréhension. Quant à son père, sa mère et même ses frères parfois violents, ils sont déchirés entre l’amour profond qu’ils portent à Umay et le devoir qu’ils s’imposent pour sauvegarder leur « honneur », comme dans une tragédie grecque où le destin des hommes et des femmes est écrit et ne peut changer.
Chacun des personnages de la famille, ciselé au millimètre, est bouleversant de justesse et de complexité et compose la réalité multiforme de ces générations d’origine turque installées en Allemagne, sans jamais avoir la prétention d’en faire un exemple sociologique. Mais le film est surtout porté par l’exceptionnelle interprétation de Sibel Kekilli, actrice sublime révélée dans le superbe Head On de Fatih Akin. Sibel Kekilli qui depuis récolte les prix d’interprétation comme on récolte les fleurs de cerisier le printemps venu. Sibel Kekilli au destin unique, qui fut violemment rejetée par sa communauté pour avoir participé dans sa jeunesse à quelques films X et qui désormais milite à Hambourg au sein de « Terre des Femmes », une association qui lutte contre les violences faites aux femmes.